Traitée par les articles 184 ss du Code des obligations du 30 mars 19111 (ci-après : CO), la vente se caractérise comme le transfert de propriété d’un bien donné du vendeur à l’acheteur; ce dernier devant en contrepartie fournir une contre prestation en argent. L’échange de ces deux prestations lors de l’achat ne pose généralement aucun problème. Néanmoins, la question des risques doit être soulevée lorsqu’un laps de temps sépare le paiement du transfert du bien.
Distinguons tout d’abord les cas de demeure et d’impossibilité fautive de l’impossibilité objective subséquente pour cas fortuit, le transfert des risques n’étant pertinent que dans le cadre de cette dernière. L’impossibilité objective subséquente désigne le cas où l’impossibilité est durable, imprévisible et ne découle pas de la faute de l’une des parties.
Le transfert des risques permet de déterminer le moment précis à partir duquel un dommage, voire la destruction totale du bien, doit être supporté par l’acheteur, et non, plus par le vendeur. En effet, lorsque le moment déterminant ne s’est pas encore produit, il s’agira d’appliquer les règles générales du CO s’agissant de l’impossibilité objective subséquente non fautive, soit l’art. 119 al. 1 et 2 CO. Dans ce cas, l’entièreté du dommage est supportée par le vendeur, l’acheteur n’ayant pas à payer le prix du bien.
Néanmoins, on ne saurait valablement parler des caractéristiques du transfert des risques sans parler du type d’objet du contrat de vente en question. Il faut en effet différencier les ventes de biens mobiliers des ventes de biens immobiliers. De surcroît, s’agissant des biens mobiliers, il faut distinguer les “corps certains” des biens qui sont définis par leur genre.
Notez qu’étant dans le cadre du droit privé, les art. 185 CO et 220 CO traitant du transfert des risques sont de nature dispositive. Les parties peuvent y déroger contractuellement.
I. Des biens mobiliers :
En droit des obligations, la notion de bien mobilier se définit négativement. En effet, sont des objets mobiliers tous ceux qui ne sont pas des biens immobiliers au sens des art. 187 CO cum 655 du Code civil du 10 décembre 1907<sup>2</sup> (ci-après : CC). De plus, il faut distinguer les biens qualifiés par leur genre, soit des biens que les parties au contrat ne qualifient que par des caractéristiques générales, des “corps certains” qui sont eux des biens individualisés par les parties.<sup>3</sup>
A) Des objets déterminés par leur genre :
Lorsqu’un objet est déterminé par son genre, l’art. 185 al. 2 CO s’applique. Une analyse préalable doit donc être faite afin de déterminer de quel type de vente il s’agit. Il peut en effet s’agir d’une vente quérable, portable ou sujette à expédition. La distinction s’avère être des plus importantes dans la mesure où le transfert des risques ne s’opère pas au même moment dans chacun de ces trois cas.
a- Des ventes quérables
La vente quérable se définit comme étant une mise à disposition de la part du vendeur. L’acheteur devant lui-même venir prendre possession de l’objet. Le transfert des risques se produit lorsque le vendeur a individualisé un objet parmi ceux du même genre et l’a mis à disposition de l’acheteur afin que ce dernier puisse en prendre possession.4
b- Des ventes portables
La vente portable se définit comme le cas où le vendeur doit remettre l’objet directement à l’acheteur à l’endroit que ce dernier lui aura indiqué. Le moment déterminant est ici celui où le vendeur remet la chose directement à l’endroit où l’acheteur l’aura voulu. Tout dommage survenant soit avant, soit pendant le voyage, est supporté par le vendeur.5
c- Des ventes sujettes à expédition
S’agissant des ventes sujettes à expédition, l’obligation du vendeur est de céder l’objet à un livreur afin que celui-ci le fasse parvenir à l’acheteur. Dans ce type de vente, le transfert des risques s’opère dès le moment où le vendeur a individualisé la chose et l’a remise au transporteur. Dans ce cas, tout dommage survenant lors du voyage est supporté par l’acheteur.6
B) Des corps certains :
Pour analyser le transfert des risques dans le cadre des ventes ayant pour objet des corps certains, il faut se référer à l’art. 185 al. 1 CO. Le corps certain, venant de l’expression latine corpus certum7 , se distingue de la chose fongible en cela qu’il est défini par sa spécificité.8 En vertu de l’art. 185 al. 1 CO, il y a transfert des risques dès la conclusion du contrat. De plus, il convient de relever que le transfert des risques est instantané.9
Les termes “dès la conclusion du contrat” font écho à une notion de base en droit des obligations qui est la validité du contrat. Il ne peut y avoir transfert des risques si le contrat n’a pas été valablement conclu. Le contrat sera considéré comme étant nul s’il ne satisfait pas aux exigences des art. 1, 16 et 20 CO.
Au vu de ce qui précède, un problème d’équité peut se poser entre acheteur et vendeur. Dans la mesure où, s’il y a transfert des risques dès la conclusion du contrat et que la prestation du vendeur devient impossible après la conclusion, l’acheteur sera tenu de payer sans pour autant recevoir de prestation. C’est le cas du décalage entre la conclusion du contrat et la remise de la chose. Le vendeur, en se prévalant de l’art. 119 CO, notamment de son alinéa 3, fait intervenir la notion d’impossibilité objective subséquente non fautive et par la même est libéré de son obligation de fournir sa prestation, l’acheteur étant quant à lui tenu de payer le prix.
a- De l’ATF 128 III 370
Cependant, le Tribunal fédéral a essayé de réinstaurer un équilibre par le biais de sa jurisprudence. Dans un ATF 128 III 370, il énonce un principe qui veut que “lorsque la séparation temporelle entre l’acte obligationnel et l’acte de disposition intervient de manière prépondérante dans l’intérêt de l’acheteur”10 alors on appliquera l’art. 185 al. 1 CO. Autrement, si cela se fait dans l’intérêt du vendeur, alors l’article ne s’appliquera pas. C’est une interprétation contra legem11 qu’effectue le Tribunal fédéral.
C ) De la condition suspensive :
Il est possible de soumettre le transfert des risques à une condition suspensive au sens des art. 185 al. 3 CO cum art. 151 CO. Il semble, à la simple lecture de l’art. 185 al. 3 CO, que la réalisation de la condition suspensive suffise à transférer les risques à l’acheteur. La doctrine s’accorde cependant, après une analyse systématique, sur le fait que le vendeur doive en plus de cela réaliser toutes ses obligations contractuelles. Ce n’est qu’à ce moment que le transfert des risques soumis à une condition suspensive intervient.12
II. Des biens immobiliers
Les biens immobiliers sont définis à l’art. 655 al. 2 CC. Ils possèdent un système de transfert des risques distinct des biens mobiliers. En effet, l’art. 220 CO définit la prise de possession comme le moment auquel les risques passent à l’acquéreur du bien immobilier. Il faut ainsi que l’accord des parties détermine ce moment, ou le rende à tout le moins déterminable. Cela peut découler directement de l’acte authentique ou bien d’un accord concluant.13
L’art. 220 CO se trouvant dans la partie consacrée aux biens immobiliers, elle ne s’applique qu’à ceux-ci. Cela signifie donc que les biens contenus au sein de l’immeuble en question sont soumis au régime, sauf dérogation contractuelle par les parties, de l’art. 185 CO. Cela ne vaut cependant pas pour les biens mobiliers accessoires à l’immeuble au sens de l’art. 644 CC. En effet, dans ce cas particulier, les accessoires subissent le sort du bien principal et donc, a fortiori, suivent le même transfert des risques.14
Il faut enfin analyser le cas où les parties n’ont ni déterminé, ni rendu déterminable le moment de la prise de possession de l’immeuble, ni prévu le transfert des risques. Dans ce cas, c’est l’art. 185 al. 1 CO, étant dans la partie générale du contrat de vente, qui trouve matière à s’appliquer. Cela implique que les risques sont supportés par l’acheteur dès que le contrat est conclu.15
III. Conclusion
Au vu de ce qui a été préalablement rédigé, il semble que l’art. 185 al. 1 CO traitant du transfert des risques n’est plus d’actualité dans la mesure où il fait supporter une charge trop importante sur les épaules de l’acheteur. De surcroît, la pratique tend à déroger à cette norme dans l’écrasante majorité des cas. Tel n’est cependant pas le cas de l’art. 220 CO qui, pour sa part, semble bien plus juste, l’acheteur ne supportant les risques qu’après avoir pris possession du bien immobilier.
L’importance pratique de l’art. 185 CO n’est pas d’une grande portée de par les dérogations contractuelles entre habitués du domaine ou professionnels. Elle peut cependant s’avérer très dangereuse dans l’éventualité d’une vente entre deux personnes lambdas ne possédant pas de connaissances sur ce domaine.
Auteurs : Aly Ba et Emanuel Francisco
1 RS : 220.
2 RS : 210.
3 ATF 121 III 453, consid. 3a cum 4a.
4 MÜLLER Christoph, Contrats de droit suisse, Berne (Stämpfli) 2021, N 421.
5 MÜLLER Christoph, Contrats de droit suisse, Berne (Stämpfli) 202, N 422.
6 MÜLLER Christoph, Contrats de droit suisse, Berne (Stämpfli) 2021, N 423.
7 ROLAND Henri, Lexique juridique des expressions latines, 6e éd., Paris (LexisNexis) 2014, p. 63.
8 Roland, p. 63.
9 THÉVENOZ Luc/WERRO Franz (édit.), Commentaire romand, Code des obligations I, 3e éd., Bâle (Helbing) 2021 (cité : CR CO-I AUTEUR ), art. 185 N 6.
10 Tercier Pierre/Pichonnaz Pascal, Le droit des obligations, 6e éd., Genève, Bâle, Zurich (Schulthess) 2019, N 1608.
11 Roland, p. 59.
12 CR CO I-VENTURI/ZEN-RUFFINEN, art. 185 N 22s.
13 CR CO I- FOEX/BENOIT, art. 220 N 4s
14 CR CO I- FOEX/BENOIT, art. 220 N 9.
15 Arrêt du tribunal fédéral 4A_383/2016 du 22 septembre 2016, consid. 3.3.
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