Le soft law et les effets juridiques des instruments non contraignants pour les États en droit des Organisations Internationales

Sur la scène internationale, les instruments dits de « soft law » prennent de nos jours une place de plus en plus importante. Cette notion peut être définie comme « des règles ou des instruments non contraignants qui présentent des promesses, en retour créent des attentes de conduite future ». Par opposition aux traités dits de « hard law », qui sont juridiquement contraignants pour les États et constituent l’essentiel du droit international, ces instruments ont l’avantage d’être beaucoup plus simples à adopter et à modifier. Ils n’entraînent, de plus, pas de lourdes conséquences en cas de non-respect.

Dans le domaine des organisations internationales (ci-après : OIs) notamment, cette option est souvent privilégiée, car elles concernent une très large pluralité d’acteurs. En effet, l’adoption de traités est soumise à l’approbation des États membres, soit jusqu’à plusieurs centaines dans les plus larges OIs. Un plus grand nombre d’États sera disposé à adhérer à des règlements, codes et autres qui ne les contraignent pas, élargissant la portée de ces instruments.

En outre, ils peuvent aussi impliquer d’autres acteurs de la scène internationale, comme les ONGs, qui ne peuvent adhérer à un traité. Effectivement, d’après l’auteur K. A. Klock, si les OIs ont recours à l’usage du soft law, c’est entre autres parce qu’il fonctionne bien lorsqu’il s’agit de coordonner les actions des États et lorsque des acteurs non étatiques sont impliqués.

Toutefois, si ces instruments n’ont pas pour vocation directe à avoir des effets juridiques, ils pourraient indirectement en soulever pour les États. Deux sources possibles d’effets juridiques contraignants indirects sont soulevées par la doctrine : soit par l’origine conventionnelle du soft law, soit par sa répercussion sur le droit coutumier international.

 

En se penchant sur la question d’effets juridiques par le biais du droit conventionnel, il apparaît qu’une spécificité du droit des OIs est que la création et l’adoption de tels instruments reposent souvent sur des traités préexistants. Ils servent, par exemple, à mettre en œuvre le ou les buts édictés dans la Constitution de l’OI en question. Si un État a ratifié une Constitution, il est lié par cette dernière et par ce fait à ce qu’il en émane. Selon le juriste J.E. Alvarez, un instrument découlant d’un traité peut en fait être du droit international, sous la forme d’une nouvelle espèce d’obligation légale, pas encore clairement définie. En ce sens, un instrument de soft law pourrait potentiellement être opposable aux États.

Qui plus est, certains de ces instruments sont basés sur d’autres engagements plus larges pris par les États, sur le droit conventionnel existant. Les dispositions d’un instrument de soft law peuvent prendre leur source dans le hard law, et un non-respect de ces dernières impliquerait alors nécessairement une violation du droit international auquel l’État s’est obligé.

Dans la pratique, et selon l’auteur K. A. Klock, c’est une solution viable que de négocier des instruments de soft law contenant des dispositions de hard law, soit la création d’instruments hybrides. L’adoption d’un instrument de soft law restant soumise à l’approbation des États dans la plupart des OIs, ces instruments hybrides auraient surtout pour avantage d’inciter les États à s’engager dans une pratique continue. 

 

Subséquemment, le deuxième point est de savoir comment le soft law pourrait influencer la coutume internationale. Les États ne sont pas tenus de se conformer aux réglementations adoptées dans des instruments de soft law, et leur respect repose sur l’intégration par les gouvernements des mesures prévues dans leur législation ou politiques nationales. Si suffisamment d’États s’engagent de telle manière à créer une pratique continue et cohérente, ces accords de soft law peuvent devenir à nouveau contraignants d’après K. A. Klock, car elle donne aux États une impression d’obligation légale ou opinio juris. Cette opinio juris donne naissance à du droit coutumier international, légalement contraignant pour les États. Indirectement, le soft law ouvre ainsi la porte à la création de droit international et permet de diriger les États sur les pratiques désirées en outrepassant en quelque sorte les contraintes restrictives liées à l’adoption de traités.

En conclusion, la problématique du soft law n’est pas complètement dépourvue d’effets juridiques, et bien que souvent considérée comme sortant du cadre du droit, elle pourrait avoir indirectement des effets contraignants pour les États. Dans la doctrine comme dans la pratique, le soft law est le sujet de nombreuses questions ouvertes, qui seront certainement centrales dans l’évolution future du droit international.

Autrices : Aarathana Selathurai & Eva Mettraux

  1. « (…) nonbinding rules or instruments that (…) represent promises that in turn create expectation about future conduct. » KLOCK, Kevin A., The soft law alternative to the WHO’s treaty power, Georgretown Journal of International Law, vol.44, 2013, p.831
  2. Ibid. p. 821
  3. Ibid, p.235
  4. KLOCK, Kevin A., The soft law alternative to the WHO’s treaty power, Georgretown Journal of International Law, vol.44, 2013, p. 840
  5. GOSTIN, Lawrence O. et SRIDHAR, Devi, Global Health and the Law, The New England Journal of Medicine, May 1, 2014, p.1734.
  6. KLOCK, Kevin A., The soft law alternative to the WHO’s treaty power, Georgretown Journal of International Law, vol.44, 2013, p. 840
  7. Ibid. p. 835