Le projet de révision des dispositions pénales relatives aux infractions sexuelles est un sujet particulièrement complexe et débattu, à un point tel qu’une plongée dans ce sujet houleux paraît nécessaire pour permettre une bonne compréhension des enjeux en question.

En effet, des questions centrales au squelette qui forme cette section du Code pénal sont en cause, comme il en va de la question de la contrainte et du consentement. L’Assemblée fédérale, et peut-être un jour le peuple, seront ainsi amenés à devoir se décider entre des directions impossibles à concilier, comme le débat opposant le « Oui, c’est oui » au « Non, c’est non ».

I. Context

Si les infractions contre l’intégrité sexuelle sont déjà parties intégrantes du Code pénal suisse adopté en 1937 (à l’époque sous le titre nommé « infractions contre les mœurs »), elles font partie de ces dispositions pénales qui ont dû grandement évoluer pour s’adapter aux différentes modernisations morales, politiques et législatives. De ce fait, la dernière importante refonte de ce pan du Code est entrée en vigueur en 1992, mais les évolutions sporadiques de certaines dispositions de l’actuel titre cinquième ne sauraient pallier la nécessité d’une révision, qui permettrait, selon les mot-mêmes de la Commission des affaires juridiques du conseil des États, de « l’adapter aux évolutions qu’a connues la société au cours des dernières décennies »¹.

Ainsi, dans le cadre du projet d’harmonisation des peines et d’adaptation du droit pénal accessoire au nouveau droit des sanctions proposé par le Conseil fédéral², le Conseil des États a décidé de traiter la révision du droit pénal sexuel, dans un volet séparé.

II. La révision en quelques points choisis

Les modifications retenues par le Conseil des États s’étendent d’éléments d’importance mineure, à des considérations tout à fait fondamentales. Cependant, certaines grandes lignes et points essentiels semblent particulièrement importants et intéressants à présenter.

Premièrement, il convient de s’attarder sur un des cœurs du projet de révision : les infractions d’atteinte et contraintes sexuelles (art. 189 du projet de révision du Code pénal, ci-après : P-CP), et de viol (190 P-CP). La notion de viol est largement modernisée, et ainsi toute forme de pénétration (vaginale, orale, et anale) avec une partie du corps ou un objet, quel que soit le genre de la victime, est considérée comme un viol. L’art. 189 P-CP ne couvre alors plus que les actes d’ordres sexuels, c’est-à-dire toute « activité corporelle sur soi-même ou sûr autrui, qui tend à l’excitation ou à la jouissance sexuelle de l’un des participants au moins »³, à l’exclusion des faits proscrits par l’infraction de viol.

De plus, ces dispositions sont construites sur un schéma de gradation parallèle, avec un alinéa pour la forme simple, et deux alinéas d’aggravantes⁴.

Concernant la question du consentement, l’on peut retenir que la suppression de la condition du moyen de contrainte n’est que peu soumise à débat. En revanche, deux solutions s’affrontent pour la remplacer, en terminologie germanophone : « Ablehnungslösung » et « Zustimmungslösung » (ce point particulièrement discuté sera examiné ci-dessous⁵).

Pour en revenir au cinquième titre, l’art. 187 P-CP punissant les actes d’ordre sexuels avec des enfants voit l’introduction de l’al. 1 bis, qui prévoit une peine plancher d’un an si la victime n’a pas 12 ans au moment de l’infraction. Cette aggravante punit l’auteur d’une peine privative de liberté de un à cinq ans, et restreint assez notablement la marge d’appréciation laissée au juge. L’al. 3 de cette même disposition se voit amputer de l’exemption facultative de peine « si la victime a contracté mariage ou conclu un partenariat enregistré avec l’auteur ». L’art. 188 P-CP s’est vu augmenter sa peine plafond, passant de trois à cinq ans au plus de peine privative de liberté. Ceci s’inscrit dans le projet d’harmonisation des peines, qui touche également la peine menace privative de liberté, notamment des art. 189 al. 1 et 3, art. 190 al. 1 (deux ans au moins, excluant de ce fait un sursis complet, cf. 42 al. 1 CP) et 2, 193 al. 1 P-CP.

Par ailleurs, au sujet de cet art. 193 P-CP, qui punit l’infraction d’abus de détresse ou de la dépendance, il a été jugé qu’il permettait de punir efficacement tous les comportements incriminés par l’art. 192 CP (actes d’ordre sexuel avec des personnes hospitalisées, détenues ou prévenues), ce dernier est donc abrogé dans le texte du projet. En revanche, du fait de questions soulevées par certaines jurisprudences⁶, est introduit un nouvel art. 193a P-CP réprimant la tromperie concernant le caractère sexuel d’un acte.

Enfin, une des dernières dynamiques notables est l’introduction d’une autre disposition inédite, l’art. 197a PC-P punissant la transmission d’un contenu non public à caractère sexuel, traitant ainsi la problématique du revenge porn. Le Conseil fédéral suggère cependant de ne pas l’introduire dans le Code pénal, puisqu’est opéré en parallèle un projet de révision du Code contre le cyber-harcèlement qui viserait également à réprimer ce comportement⁷.

En revanche, divers points ont été examinés, mais n’ont pas été retenus par le Conseil des États. Sont notamment concernés : l’exclusion de la peine pécuniaire pour les infractions aux art. 187 CP et suivants, la répression du « pédo-piégeage » (grooming), la poursuite d’office pour l’art. 198 CP si l’enfant est âgé de moins de 12 ans, ou la répression du commerce de clichés et films d’enfants nus (la notion de pornographie lui a été préférée).

III. « Oui, c’est oui » ou « Non, c’est non »

A. Les solutions proposées

Dans la révision des infractions sexuelles et plus précisément du viol (art. 190 CP), la question du consentement est centrale. Cependant, plusieurs solutions sont proposées pour aborder celle-ci.

La solution du « Oui, c’est oui » consiste à ce que chacun des partenaires s’assure que l’autre soit bien consentent à l’acte. Cette proposition tend donc à punir l’auteur qui a agi sans le consentement de l’autre et permet que la victime ne porte pas la responsabilité de manifester son désaccord. L’attention est alors portée sur l’auteur qui est chargé du fardeau de la preuve et donc c’est à lui de déterminer par des indices et des indications en quoi la victime a consenti à l’acte⁸. La solution du consentement présente une difficulté majeure : le consentement et donc le « oui » peut, dans certains cas, être plus difficile à prouver et à démontrer.

Quant à la solution du « Non, c’est non », elle vise à incriminer les actes commis contre la volonté de la victime, l’auteur doit ainsi établir que la victime n’a pas dit non à l’acte. Les partenaires ne doivent pas se soucier du consentement de l’autre, mais doivent être attentifs au fait que l’un d’eux ne manifeste pas son refus à l’acte. Ce n’est qu’en absence de refus exprès que l’auteur ne se verra pas incriminé. Cette solution peut apporter un problème majeur : en absence de refus clair, un partenaire pourra admettre le consentement de l’autre partenaire. Elle fait donc porter le fardeau de la preuve à la victime, car c’est à elle de démontrer que dans son comportement, elle a bien dit « non » et qu’elle a manifesté son refus. Cependant, un argument en faveur de cette solution consiste à dire qu’il serait plus facile de prouver que le refus ou qu’un « non » a été exprimé¹⁰.

B. L’avis des chambres quant à la révision

Le Conseil des États a été prioritaire pour se prononcer sur la question de la réforme des infractions sexuelles. C’est durant la session d’été 2022, que la majorité s’est prononcée en faveur de la solution du « Non, c’est non », soit la solution du refus punissant celui qui commet un acte contre la volonté d’une personne. Par la même occasion, le Conseil des États a aussi reconnu que toute forme de pénétration, indépendamment du sexe de la victime, doit être considérée comme un viol. C’est une grande nouveauté pour les infractions contre l’intégralité sexuelle, car selon le droit en vigueur avant la réforme, seule une pénétration vaginale d’une femme par un homme et non consentie était reconnue comme un viol¹¹.

Quant au Conseil national, il ne s’est pas encore prononcé définitivement au moment de la rédaction de cet article. Cependant, la Commission des affaires juridiques du Conseil national est plus en faveur de la solution du « Oui, c’est oui », soit la solution du consentement, qui punit de viol quiconque commettant un acte d’ordre sexuel sur une personne sans son consentement, bien que la question de la preuve, soit plus compliquée. En effet, démontrer qu’une personne a bien consenti à l’acte est une preuve plus compliquée à apporter. Néanmoins, la solution du « Oui, c’est oui » envoie un message plus fort, car fait reposer les actes sexuels consensuels sur le consentement des personnes qui y prennent part¹².

IV. Conclusion

En conclusion, le principe d’une révision du droit pénal sexuel paraît tout à fait opportun, et les grandes lignes prévues, ou à tout le moins discutées, du projet font état de la nécessité de réviser le Code pénal suisse. Cela ne signifie pas cependant que les solutions s’imposent d’elles-mêmes, en témoignent les débats notamment en ce qui concerne le consentement. Bien que présentant, tout comme son alternative, des inconvénients, la solution du « Oui, c’est oui » est reconnue comme la solution la plus proche des intérêts de la victime. Nous rejoignons en cela la Commission des affaires juridiques du Conseil national, qui appuie sur cet élément pour soutenir son choix.

La suite de la vie parlementaire du projet de révision, ainsi que sa potentielle application, sont à suivre avec le plus grand des intérêts, puisqu’elles pourront poser les pierres fondatrices de la punissabilité des atteintes à la liberté et à l’intégrité sexuelle.

Addendum

Suite à de récents développements, le Conseil National s’est prononcé sur le projet de révision, dans le sens d’un alignement global avec le Conseil des États sur la nécessité de révision et de la définition de viol. Comme le décrit la dépêche ATS du 5 décembre 2022 : « Une révision du droit pénal [était] nécessaire et incontestée. À l’avenir, toute pénétration non consentie, quel que soit le sexe de la victime, doit être considérée comme un viol. La notion de contrainte doit également être abandonnée ». Néanmoins, le Conseil National a adopté, par 99 voix contre 88 et 3 abstentions, la version « Oui, c’est oui ». La conseillère nationale Tamara Funiciello a défendu cette position en déclarant : « Il va de soi qu’on ne prend pas de l’argent dans le portemonnaie de son voisin sans lui demander. Il va de soi qu’on n’entre pas chez quelqu’un sans sonner. Pourquoi mon porte-monnaie et ma maison seraient mieux protégés que mon corps ? ».

Auteurs : Bastien MOTTIER et Léa Océane Grosjean 21 janvier 2023

¹Rapport de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États, 17 février 2022, FF 2022 p. 688.

²Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur l’harmonisation des peines et la loi fédérale sur l’adaptation du droit pénal accessoire au droit des sanctions modifié, 25 avril 2018, FF 2018 p. 2889 ss.

³ CORBOZ Bernard, Les infractions en droit suisse, vol. I, 3ème éd., 2010, p. 785 n. 4 ad art. 187 CP.

MONTAVON Camille/MONOD Hadrien, La révision des infractions de contrainte sexuelle et de viol : quelle place pour le consentement ?, PJA 2022 p. 614.

Cf. infra III.

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_453/2007 du 19 février 2008 par exemple.

Rapport du 17 février 2022 de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États, Avis du Conseil fédéral du 13 avril 2022, FF 2021 p. 1011 ss.

Cela ressort du Rapport sur les résultats de la consultation de la Loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle, ch. 4.7.1.1 (cit. Résultats de la consultation) [https://www.parlament.ch/centers/documents/fr/bericht-ergebnis-vernehmlassungsverfahren-revision-des-sexualstrafrechts-f.pdf].

Résultats de la consultation, ch. 4.7.1.2.

¹⁰Résultats de la consultation, ch. 4.7.1.1.

¹¹Dépêche ATS : Délibérations au Conseil des Etats, 07.06.2022 sur le projet 3 relatif à Loi fédérale portant révision du droit pénal en matière sexuelle ; Communiqué de presse du 21 octobre 2022 relatif à la révision du droit pénal en matière sexuelle.

¹²Communiqué de presse du 21 octobre 2022 relatif à la révision du droit pénal en matière sexuelle.